Nuits de Bohême

Une petite lumière dans l'obscurité. Chaque année les réjouissances revenaient à Sighișoara, la ville qui avait vu naître Vlad Tepes. De loin, cette petite lueur vacillante semblait promettre monts et merveilles. Mais pour Asha, Sighișoara était l'interdit absolu. Elle n'aurait jamais osé le braver, au nez et à la barbe de son oncle. Elle l'aimait sans doute trop pour cela. Pourtant, chaque année, elle se mettait à la fenêtre de sa chambre et regardait les lumières de Sighișoara. Le fils du gardien de porcs lui avait dit tant de choses sur les bohémiens. Plus en mal qu'en bien d 'ailleurs mais allez savoir pourquoi, bien loin de l'avoir dissuadée de fréquenter ces individus, il n'avait fait que jeter un peu plus d'huile sur le feu de sa curiosité. Si elle ne s'était pas encore embarquée pour Sighisoara, c'était uniquement parce qu'elle se sentait déjà coupable rien que d'y avoir pensé chaque fois qu'elle dînait auprès de son oncle. Comme s'il avait pu lire dans ses pensées, savoir quel démon la taraudait.

L'idée était ridicule, du moins c'était l'opinion du fils du gardien de porcs. Ce que son vieil oncle ignorait comment aurait-il s'en offusquer...

Elle se remémorait sans cesse cette remarque éclairée pour se donner du courage mais à chaque fois à la dernière minute, son bon coeur la trahissait et sa hardiesse s'envolait comme fétu de paille au grand vent. Ce soir là, elle avait pourtant franchi le cap. Grimée en fille de ferme, ses longs cheveux blancs en natte dissimulés sous un voile de jute, le visage barbouillé de suie, elle s'était glissée dans la charrette de la cuisinière, entre la jarre qu'elle entendait remplir du saindoux et celle qu'elle remplirait de grains au marché, Asha avait bien en mémoire les conseils du fils du gardien de porcs...
Elle sauta un peu avant le petit pont de pierre et se faufila dans le noir avec les porcelets que le fils du gardien de porcs devait livrer aux cuisines de la guilde des orpailleurs. Elle n'avait amené avec elle qu'un malheureux ducat d'or qu'elle avait habillement caché dans ses cheveux. Après avoir rempli l'office du fils du gardien de porc, elle se dirigea avec hâte vers l'endroit où les bohémiens avaient dressé leur camp.

Il y avait là autant de roulottes qu'on pouvait en vouloir. Des enfants qui courraient pied nu dans la boue derrière une chèvre. De riches épouses qui venaient là se faire dire la bonne aventure, des vieilles comme on en voyait que dans les contes, des hommes qui faisaient des tours pour impressionner les passants et leur soutirer quelques pièces par la même occasion. Asha avait décidé qu'elle donnerait son ducat à celui ou celle qui lui paraîtrait le plus méritant. Elle s'arrêta d'abord devant un joueur de viole et une danseuse qui soutenaient l'un comme l'autre le rythme endiablé d'une musique qu'elle ne connaissait pas. En vérité, c'était même la première fois qu'elle entendait de la musique. Cette découverte la laissa perplexe, aussi décida-t-elle de passer au numéro suivant : un garçon de son âge qui prétendait faire jaillir des flammes de ses mains...

La vie d'un bohémien n'avait rien d'une vie de château, d'une vie de richesse, et de confort. Pourtant, pour rien au monde, aucun d'eux n'aurait échanger sa vie contre celle d'un noble d'un quelconque pays, peu importe si ce dernier était particulièrement riche. Pour eux, le prix de la liberté n'avait d'égale que ce que l'on en faisait, et le fait même de vivre au grand air, peu importe la température extérieure, était ce qu'ils chérissaient le plus au monde. Ils n'étaient fidèles qu'envers cette dernière, et envers leur clan, au loi si secrète. Voyager de ville en ville à la manière d'un bohémien avait quelque chose de très simple à réaliser, mais qui, pourtant, était l'une des choses les plus difficiles d'un point de vue organisation, mais aussi pour la protection des leurs, étant donné la vie de l'époque. Mais cela ne les empêchait pas de profiter de la vie à pleine dents, et à la vivre comme bon ils leur semblaient. D'ailleurs, on disait souvent que les bohèmes pouvaient se targuer d'une telle vie grâce à la protection même du Diable, qui leur aurait accordé de sombre magie. Ce qui n'était guère le cas, mais qui leur permettait un minimum de tranquillité.

Néanmoins, la magie était bien présente. Et comme Ezvra aimait le dire, elle était présente en chaque personne. L'éveille de cette dernière ne se faisait que si l'on savait croire en soit, et que l'on savait ce que l'on voulait. C'était pour cela que peu de personne, même chez les Bohèmes, pouvaient manier les forces de la magie. Cependant, c'était chez les Bohèmes, où il y en avait le plus.

Voyager de ville, en ville, se fondre plus ou moins dans le décors, afficher une certaine façon d'être pour être plus tranquille pour de plus sombres business, c'était quelque chose qui rendait Sevan joyeux, sociable, et particulièrement chaleureux. Il avait quelque chose en lui de si bohème, qu'on se demanderait presque si ce statut n'avait pas été inventé pour lui. Arrogant mais respectueux, sociable mais méfiant, Sevan aimait jouer, se montrer, être l'attention de tous. Petit fils d'Ezvra, matriarche du clan, il faisait ce que bon lui semblait, même exposer sa magie aux yeux de tous. Sevan aimait jouer avec le feu, et ce dans tous les sens du terme. Il savait qu'il y avait peut-être des religieux un peu trop enthousiaste - si l'on peut dire -, mais il n'en avait que faire. Cacher sa magie, pour lui, serait à l'encontre de sa propre liberté, et il ne pourrait être un véritable bohème. Ainsi, à chaque fois qu'ils s'installaient dans un village, Sevan faisait un petit spectacle, qui en lançait plus d'un sur le derrière. Certains disaient qu'il était le fils d'un démon, alors que d'autres disaient qu'il apportait le feu purificateur, mais qu'il était dangereux de jouer avec.

Cela faisait peut-être trois jours maintenant qu'ils s'étaient installés à Sighisoara, à quelques miles de la frontière aux Balkans. Le temps était un peu plus clément en cette période de l'année, et l'hiver en montagne était bien trop dur pour y vivre, même pour les bohèmes. Et ce soir-là, leurs premiers spectacles commençaient au centre du village. Les passants allaient et venaient, sortant leurs enfants, les faisant profiter des diverses spectacles. Il y avait la petite vieille Ezvra, dans une petite tente près d'une roulotte qui lisait réellement les signes de la main, il y avait Zhirayr, le lanceur de couteau, accompagnée de sa fiancée Lucine, il y avait aussi Narek, le fils Ottoman, et ses marionnettes loufoques, ou encore Hayk, qui s'amusait à tromper les gens en cachant une pièce sous plusieurs gobelets, sans jamais - ou presque, puisqu'il fallait quand même qu'ils viennent dépenser leur or, et pour ça, il fallait qu'il pense pouvoir gagner - gagner. Les autres étaient là pour commercer, ou pour échanger quelques services, comme Gevorg, qui taillait les pierres comme personne.

Au centre des roulottes, près du feu, il y avait un jeune homme que l'on disait capable de jouer avec le feu, sans même se brûler avec. C'était Sevan. Il était grand, bien bâtit, le cheveu noir couvert par un bandana noir également, et un regard de canaille. Il avait un petit sourire mutin, et les gens autour ne cessaient de l'épier du regard, comme pour découvrir une éventuelle supercherie. Après quelques instants qui semblèrent long, Gevorg sortit de la roulotte en s'essuyant les mains, un sourire aux lèvres. Il joignit ses mains au niveau de ses lèvres, s'en servant comme un cor, et il intima les gens à venir se rassembler auprès de lui.

« Oyez, oyez, nobles gens ! Approchez-vous des flammes, et venez voir Sevan, le joueur de feu, le Danse-flamme ! »

Il s'inclina bien bas, se reculant de quelques pas. Sevan se leva, s'approchant de la foule, tout en montrant ses mains. Ses bras étaient nus, et son tee-shirt rouge pourpre n'avait rien d'étranges. Il s'inclina à son tour, avant de retourner près des flammes avec un sourire espiègle. Tendant une main au dessus des flammes, il claqua des doigts, et de son autre main qu'il ouvrit vers les cieux, un jet de flammes à la base sphérique fit son apparition au centre de sa main, lévitant au dessus de sa paume de main, comme par magie. Puis, il s'avança vers la foule, la montrant aux yeux de tous, avant de la lancer en l'air, puis d'y mettre un coup de pieds en direction des flammes qui avalèrent la boule de feu.

La foule semblait captivée.

« Oyez, oyez, nobles gens ! Approchez-vous des flammes, et venez voir Sevan, le joueur de feu, le Danse-flamme ! »

Asha n'était pas mauvais public. C'était la première fois qu'elle était public de quoi que ce soit d'ailleurs alors bien sûr rien que l'évocation d'une chose aussi obscure qu'un danse-flamme (qu'est-ce que cela pouvait-être qu'un danse flamme? un espèce de fakir peut-être... ou un acrobate...)...

Noyée dans le flot des gens qui s'assemblaient pour voir le miracle, la petite métisse, son capuchon large bien rabattu de sorte que tout son visage était dans l'ombre, se hissait un peu sur la pointe des pieds pour voir. Elle n'avait pas l'habitude qu'on la touche ou pire encore qu'on ne lui prête aucune attention. Ca ne lui aurait sans doute pas plu sans le frisson de l'interdit...

Ses yeux suivaient les tours de passe-passe du "danse-flamme" (elle comprenait mieux le terme) semblaient si vrai qu'un petit instant, elle s'y serait laissée prendre. Mais elle avait lu trop de livre de science pour savoir que ce n'était pas possible.

Il y avait dans la façon de faire du petit prodige une habileté rare. Elle essayait de dénicher le petit truc... mais rien à faire. Ce qui faisait aussi la magie du spectacle c'était la joie de vivre qui se dégageait du jeune homme, ça et, une espièglerie digne d'un rumplestiltskin...

Leurs yeux se rencontrèrent une seconde, noir contre noir. Asha détourna bien vite le regard, gênée sans trop savoir pourquoi. Elle décida de passer son chemin, elle n'avait pas encore trouvé celui ou celle qui mériterait son ducat d'or. Quand elle eut fait le tour, elle repassa devant l'endroit où le danse-flamme s'était produit... il était seul, son numéro était terminé, ou alors peut-être était-il occupé à autre chose. Curieusement, elle ne l'aborda pas mais se contenta de le détailler d'un peu loin. Peut-être qu'elle s'attendait à le voir sortir un briquet de sa manche...

Le spectacle était terminé, et il avait toujours ce petit goût amer qui lui restait dans la bouche lorsqu'il finissait sa prestation. Pratiquer la magie était pour lui, comme une passion, un hobbies bien particulier, certes, mais une activité qui l'apaisait, qui le faisait se sentir lui. Il n'avait jamais su comment l'expliquer à Ezvra qui n'avait jamais été très fan d'un tel étalage de ses pouvoirs pour des raisons évidentes. Mais il n'en faisait qu'à sa tête, et c'était tout à fait normal. Il était libre après tout, et c'était uniquement ça qui comptait.

Assis près des flammes, observant ces dernières comme si c'était ses enfants. Ce n'est qu'au bout de quelques instants, qu'il sentit la présence d'une tierce personne au dessus des flammes, qui l'observait, là, sous sa capuche, à le regardait. C'est à ce moment-là qu'il comprit, qu'il reconnut l'étrange sensation qu'il avait ressentit lorsqu'il avait croisé furtivement son regard durant le spectacle. Machinalement, il se redressa, sourire aux lèvres, face à cette jeune femme qui semblait vouloir en savoir plus. Son accoutrement le laissait perplexe, comme si elle cultivait elle aussi sa part de mystère. Sentant son cœur ne faire qu'un tour, il sut instinctivement qu'il se devait d'aller lui parler. Il se devait de percer son secret à son tour. S'approchant d'elle, il lui tendit la main, l'invitant à se joindre à lui.

« On dirait que mon art vous laisse perplexe... Vous souhaitez en savoir plus ? »

La chaleur émanait de lui avec une certaine douceur. Quelque chose d'agréable se dégageait de lui. Peut-être son parfum boisé ? Peut-être sa culture bohème ? Ou peut-être son spectacle ? Elle était peut-être l'une des leurs... Une sorcière. Ou alors, elle était peut-être l'une de ses femmes cartésiennes, à cause de ce nouvel art qu'est la science ? Tant de questions... Mais quelque chose d'autre l'intriguait. Il avait envie de la connaître comme si le destin lui-même l'avait mis sur son chemin ce soir-là. Il avait toujours ce petit sourire mutin sur son visage.

Elle regarda un petit instant la main qu'il lui tendait avant d'approcher, sans plus d'hésitation. Dans son plan initial, elle ne devait parler à personne. C'était mieux. Ca lui aurait évité de prendre des risques inutiles. Mais d'un autre côté, comment aurait-elle pu dire non? Ca ne serait qu'une malheureuse conversation qu'il oublierait comme tant d'autre. De son côté c'était différent puisqu'elle ne voyait que peu de monde et toujours les mêmes personnes.

« On dirait que mon art vous laisse perplexe... Vous souhaitez en savoir plus ? »

Sous son capuchon, le visage métissé d'Asha s'illumina. Elle ne croyait pas une seconde qu'il ait réellement pu allumer un feu de ses seules mains, mais là, elle était presque prête à croire qu'il pouvait lire ses pensées.

« Vous feriez ça? Vous me donneriez votre truc? Bien sûr j'en garderai le secret, je n'ai qu'une parole. »

Dans son monde à elle, une parole avait de la valeur. Dans son monde à lui, les gens étaient fourbes et malhonnêtes, et il y avait fort peu de chance que comme elle, il l'ignore. Elle tendit la main en signe de bonne foi, sans se douter que ses mains douces et sans imperfection trahiraient son origine sociale malgré les fripes dans lesquelles elle se cachait, si le parfum délicat d'huile de rose de ses cheveux ne l'avait pas déjà fait.

« Vous feriez ça ? Vous me donneriez votre truc ? Bien sûr j'en garderai le secret, je n'ai qu'une parole. »

Sevan éclata de rire, un de ces rires joyeux, plein de chaleur, un de ces rires qui vous fait rire à votre tour, même si au début, vous vous sentez toujours un peu jaune. Il secoua doucement la tête, avant de reposer son regard dans celui de la jeune femme. Son regard devint on ne peut plus sérieux, lorsqu'il lui répondit :

« Je n'ai qu'une parole, mademoiselle. »

Il était tsigane, et si il y avait bien quelque chose auquel il se tiendrait, c'était bien à sa parole. Il n'arrivait à lire en elle, comme il pouvait le faire chez les autres, qui, généralement, ne voyaient en les tsiganes, qu'un amusement temporaire, ou une haine toute particulière. Elle semblait curieuse, et elle ne semblait pas non plus mentir. Pour Sevan, c'était comme si cette dernière avait gardé toute l'innocence de sa tendre jeunesse. Plus il regardait son visage à demi-caché, plus il passait du temps avec elle, plus il avait envie d'en savoir sur cette dernière. Elle était trop différente des autres personnes qu'il avait déjà croisé malgré son jeune âge, pour la laisser passer ainsi. Il était curieux, lui aussi. Mais pas comme elle. Lui, il commençait à savoir la réelle nature de l'humanité. C'était sûrement la première chose qu'on apprenait à un jeune tsigane pour qu'il s'en sorte dans la vie.

Elle lui tendit sa main, qu'il saisit délicatement de façon à la tenir par le dos de sa main. La tirant délicatement sur un banc près du feu, il la fit s'asseoir, puis il fit de même, avant de s'intéresser de plus près à sa main. Une étrange lueur dans son regard s'installa lorsqu'il sentit la douceur de ses mains. Sûrement une fille de noble, ou un truc comme ça. Elle n'avait visiblement rien fait de ses mains si ce n'est feuilleté des livres plus ou moins vieux sur un quelconque sujet.

Deuxième lueur lorsqu'il repéra l'anneau qui ornait magnifiquement bien sa délicate main. Il n'en fit rien pour le moment, mais il la lui subtiliserait sans qu'elle ne s'en rende compte. Elle pourrait alors servir à deux choses : La revendre, ou prétexter de la lui rendre pour un deuxième rendez-vous. Il sourit alors, avant de caresser de son autre main, le creux de la main de la jeune fille avec douceur.

« C'est étrange, nous avons la même ligne de vie. »

De la drague ? Peut-être... Ou peut-être pas. Il lui montra sa main, et il lui montra sa propre ligne de vie, avant de ressaisir sa main avec douceur. Les siennes de main étaient différentes. Il ne travaillait guère dans les champs, les forêts, ni le fer ou le cuir, mais elle semblait rompue à des arts qui vous laisse sans voix.

Soudain, elle pouvait ressentir une profonde chaleur provenant de la paume du jeune homme sur le dos de sa propre main sans pour autant la brûler, quand tout à coup, une boule de feu apparut dans la main de la jeune fille, lévitant à quelques centimètres de sa paume, tout en rependant une chaleur agréable. On entendait presque les flammes crépitaient dans sa propre main.

« Si vous le souhaitez, on peut lui donner n'importe quelle autre forme. »

Il sourit alors. La magie n'avait de limite que sa propre imagination. Il pouvait en faire ce qu'il voulait tant il s'y était plongé, à cause de sa profonde passion à son égard. Certes, il avait eut d'autres devoirs, comme protéger les tsiganes des sombres créatures tapis dans l'ombre, attendant leur heure pour les attaquer, mais sa passion pour la magie provoquer en lui un sentiment de puissance, mais aussi d'amusement, de curiosité. Beaucoup de mystères... Ezvra disait souvent que sa passion le consumerait si il n'y faisait pas attention. Mais pour lui, c'était beaucoup de mots pour rien.

Le jeune homme éclata de rire. Sur le coup Asha se dit qu'il se moquait d'elle bien que, pour une raison qu'elle ignorait. Se montrait-elle trop naturelle? Son oncle lui répétait souvent qu'elle était bien trop spontanée et qu'il valait mieux, parfois, taire ce que l'on pensait ou ce que l'on ressentait. Il concluait toujours avec sourire tendre, assurant que ça n'était finalement pas si grave...

« Je n'ai qu'une parole, mademoiselle. »

Elle ne savait pas vraiment pourquoi mais c'est à ce moment-là qu'elle décida de lui faire confiance. Plus tard elle se dirait qu'il avait usé d'un de ses tours de manouche, un petit jeu de séduction ou qui sait, peut-être même la magie. Mais sur l'instant, il avait tout simplement l'air honnête. Elle n'en aurait peut-être pas pensé de même si elle l'avait vu lorgner la chevalière qu'elle portait au pouce. Un dragon de bronze dont la queue enserrait la gorge après avoir fait le tour du doigt gracile de la jeune femme. Il portait gravé sur le dos la Sainte Croix de Rome. Un bijou sans prétention si ce n'était qu'en Roumanie, la bête était associée au diable et d'autant plus redoutée qu'elle rappelait le nom de Vlad Dracula et plus encore son fils, Vlad l'Empaleur.

Asha ne se défaisait jamais de cette bague. Elle avait appartenu à son père et n'ayant rien connu de l'homme, elle portait à l'objet une tendre affection quand bien même au fond d'elle, elle croyait dur comme faire que son père biologique était celui qui se prétendait son oncle.

Elle aurait sans aucun doute remarqué l'intérêt que le bohémien portait à son bijou s'il n'avait pas eu sa main posée sur la sienne à ce moment-là. Dans l'éducation qu'elle avait reçu, ça ne se faisait pas de toucher les gens, encore moins une jeune fille en âge de se marier. Elle ne dit cependant rien et lui laissa bien volontiers cette main que personne n'avait prise sinon son oncle et ses servantes. Est-ce que c'était parce qu'elle s'attendait à ce qu'il fasse quelque chose en particulier ou simplement pour cette sensation de chaleur au creux de son ventre ?

« C'est étrange, nous avons la même ligne de vie. », releva-t-il.

Asha se pencha pour regarder de quoi il parlait. Le fils du gardien de porc l'avait mise en garde contre les diseuses de bonne aventure, mais elle n'avait pas envie de dire à ce jeune homme qu'elle ne croyait pas vraiment à ce genre de chose, pour ne pas le vexer et puis parce qu'elle avait envie d'en savoir plus sur lui.

« Je pensais que toutes les mains avaient les mêmes lignes... », répondit-elle sans mentir. C'était aussi une façon de lui dire qu'elle n'était pas forcément prête à gober n'importe quoi bien qu'elle lui prêtât une oreille sincèrement attentive.

Tout à coup, une flamme apparut dans sa main à elle. De surprise elle fit un bond et retira sa main mais ce qui aurait été un excellent réflexe dans n'importe quelle autre situation lui joua un tour cruel dans celle-ci. Fort heureusement la brûlure n'était que très légère mais pour elle qui n'avait jamais usé ses mains à rien c'était plus que largement suffisant.

Elle serrait fortement sa paume contre son coeur mais elle était bien trop digne pour pleurer ou même laisser le moindre son passer ses lèvres.

« Je n'aurais pas dû me laisser surprendre... »

« Je pensais que toutes les mains avaient les mêmes lignes... » Sevan lui lança un coup d'oeil avec une pointe d'amusement. C'était toujours particulièrement drôle de voir certaines personnes réagir ainsi avec tant de scepticisme. Il n'en dit rien, car il n'avait rien à redire là-dessus. Il fallait qu'il lui montre ce qu'il était capable de faire, et c'est ce qu'il fit, dans les minutes qui suivirent. Une boule de feu apparut dans la main de la jeune fille, qui, comme il l'eut deviné, elle sursauta.

« Je n'aurais pas dû me laisser surprendre... » Fit-elle, serrant sa main contre elle, visiblement brûlée. Il eut un sourire, fermant sa main, réduisant la boule de feu en fumée. Il se redressa, et alla près de la roulotte la plus proche, pour prendre une petite besace qui était posée devant, au cas où lui-même ne se brûle - par on ne sait quel artifice. Il revint vers Asha, s'asseyant devant-elle. Il sortit un flacon d'eau de vie, puis, de son autre main, il cueillit une brindille de gazon qu'il transforma en lys d'un mouvement de cette dernière entre son index et son pouce. Puis, il arracha plusieurs pétales, qu'il enfonça dans l'eau de vie.

Il attrapa délicatement la main d'Asha, puis, il ressortit les pétales de Lys qu'il installa sur la brûlure de la demoiselle avec douceur. En quelques instants, la brûlure commençait à disparaître.

« Ca ne disparaîtra pas comme ça, je te conseille de de la jourbarbe des toits. Je t'en donnerais une fleur. Il te suffira de te faire un bandage avec cette dernière contre ta peau, et demain, ta brûlure aura disparu. »

Sevan reposa ses affaires près de son pieds gauche, redressant de nouveau le regard avec un sourire tout en demandant : « Toujours aussi sceptique ? »

Quand elle se brûla il lui prit naturellement la main, à nouveau. Elle s'y serait presque faite mais là encore, il réussissait admirablement à détourner son attention. Cette fois-ci ça n'était pas avec son charme naturel mais en lui refaisant un petit tour de passe passe. Les yeux rivés sur la fleur de lys, béate d'étonnement, elle ne regarda même pas ce qu'il s'apprêtait à lui faire, ses yeux passaient simplement de la fleur au jeune homme, comme cherchant l'explication rationnelle qui n'existait pas.

Sa jolie bouche prit la forme d'un rond puis l'instant d'après elle affichait une grimace de douleur qu'elle n'avait pas pu dissimuler malgré toute sa bonne éducation. Ses mains douces et délicates étaient à l'image de ce qu'elle, était. Préservée. Intacte même. Se brûler avait jusque-là été son expérience la plus douloureuse. Elle n'aurait jamais imaginé sous quelle formule de bon sens on avait pu inventer de mettre de l'eau de vie sur quelque chose de déjà affreusement douloureux. Elle pinça les lèvres, essayant malgré elle de ravaler une larme dignement.

« Ca ne disparaîtra pas comme ça, je te conseille de de la jourbarbe des toits. Je t'en donnerais une fleur. Il te suffira de te faire un bandage avec cette dernière contre ta peau, et demain, ta brûlure aura disparu. »

Elle acquiesça en essayant de faire de son mieux pour avoir l'air de rien tout en se doutant bien que c'était peine perdue.

« Je vous remercie, vous n'y étiez pas obligé. »

C'est à ce moment-là qu'elle résolut de lui donner ducat d'or. Non pas pour ses tours de magie mais pour sa gentillesse.

« Toujours aussi sceptique ? »

Elle glissa sa main sous son capuchon de jute en prenant bien garde de ne laisser voir ni son visage ni ses cheveux.

« Je pense que vous avez méritez ceci. », fit-elle en se levant quoiqu'à contre coeur. Elle ne pouvait pas se permettre de rester plus longtemps. Si on découvrait sa petite escapade cela gâcherait tout.